Un fragment de l’épopée sénégalaise, les Tirailleurs noirs sur l’Yser

Les auxiliaires belges contre les « ouléd-cheïtane » Le joli et éloquent opuscule de MM. Bocquet et Hosten sur l’épopée sénégalaise de l’Aisne fait revivre les figures, paroles et gestes héroïques ou plaisants, de ces braves Africains qui moururent là-bas en défendant notre cause avec autant de mérite, au moins, que les nôtres, puisque ces grands enfants…



Les auxiliaires belges contre les « ouléd-cheïtane »

Le joli et éloquent opuscule de MM. Bocquet et Hosten sur l’épopée sénégalaise de l’Aisne fait revivre les figures, paroles et gestes héroïques ou plaisants, de ces braves Africains qui moururent là-bas en défendant notre cause avec autant de mérite, au moins, que les nôtres, puisque ces grands enfants des pays lointains ne comprenaient pas la noble grandeur de cette cause et se sacrifiaient tout bonnement pour nous, de par un instinct de fidélité quasi-canine. Ce sont les Sénégalais qui baptisèrent si justement les Roches du sobriquet de « Ouléd-Cheïtane » (fils du Diable). Le monde Sénégalais est en effet autrement humain que des démons de la Kultur. Il convenait que cela fût dit très haut et que les héros noirs associés à nos périls sous un climat si hostile à leur nature, fussent à l’honneur autant qu’ils ont été à la peine. On a vu précisément M. Clemenceau s’émouvoir généreusement des besoins moraux et matériels de nos humbles et admirables auxiliaires coloniaux. C’est la caresse de notre fraternelle affection qu’il leur faut surtout, en échange de leur immolation, la joie de se sentir promus à l’estime et à l’amour de l’Européen auquel ils se dévouent. Le petit livre dont je parle est comme un tendre baiser de blancs sur leurs pauvres fronts noirs.

Gérard Harry. Le Petit journal du 11 mai 1918 – Retronews.fr


Dans un petit volume heureusement présenté par la librairie Van Oest : Un fragment de l’Épopée Sénégalaise, MM. Louis Bocquet et Ernest Hosten racontent les combats soutenus par les tirailleurs noirs sur l’Yser et la défense de Dixmude, à côté des marins de l’amiral Ronarc’h et des troupes belges. Le contingent sénégalais qui prit part à la lutte, disent justement les auteurs, a été négligé jusqu’ici. Avec les restes des bataillons d’Afrique qui s’étaient battus à Rocroi, sur la Marne et autour d’Arras on forma un groupe mixte qui fut dirigé sur la Belgique au moment où allait se produire la poussée de l’ennemi. Le 26 octobre 1914, ces troupes étaient à Dixmude et en partie furent dirigées sur la Maison du Passeur, tandis que le bataillon colonial blanc occupait Saint-Eloi près d’Ypres. Un autre groupe demeuré à la disposition de l’amiral Ronarc’h prit part à la défense de la ville. — D’abord, les noirs eurent à veiller derrière des remblais de terre, dans des silos de glaise fondante que l’eau envahissait malgré les puisards, tandis que tombait, interminable, la petite pluie fine que les matelots nomment si expressivement le crachin. Ce fut une existence atroce, surtout pour les hommes des pays de soleil, de chaleur tropicale qui servaient près des nôtres. Le spleen les gagnait avec « le paysage douloureux et le ciel sans clarté ». Pour les réveiller, on dut leur faire exécuter divers travaux d’amélioration, qui du moins les occupèrent. Puis ce furent des combats, l’affaire de la Maison du Passeur, qu’ils enlevèrent de haute lutte. L’inondation tendue par les Belges gagnait peu à peu cependant, si bien que tout l’intérêt, un moment, se porta sur Dixmude. Les Allemands bientôt donnèrent l’assaut, submergeant de leurs masses les tirailleurs noirs qui, d’ailleurs, se défendirent âprement. La lutte fut longue et sanglante ; mais les marins et les Sénégalais durent à la fin se replier, gagner comme abri le talus du chemin de fer. On se battit dans les ruines de la ville ; les Sénégalais enfin passèrent de force, purent arriver à la rive gauche de l’Yser. De trois compagnies qui avaient été engagées, il restait à peine une trentaine d’hommes, mais blessés, balafrés, hideux, et qui réussirent à gagner Caeskerke. — En mai 1915, les survivants de l’Yser, mélangés à de nouvelles recrues, étaient envoyés en Orient. On les vit ensuite dans l’Aisne, en Artois, sur la Somme, à Verdun, à Douaumont, en Champagne, sur le plateau des Dames, — partout où il fallait donner un « coup de chien », comme disent les auteurs En 1916, ils reprirent Arrevillers, se trouvèrent à l’attaque devant Belloy, au Chemin-des-Dames, etc. Mais il ne semble pas, indique le récit, qu’on ait récompensé suffisamment… — Le petit volume de MM. Léon Bocquet et Ernest Hosten est illustré de douze bons dessins, des portraits bien venus, de M. Lucien Jonas, que nous sommes heureux de signaler.

Mercure de France, du 16 août 1918 – Retronews.fr