Ce dialogue est une œuvre de fiction. Bien que basé sur des faits et des personnages réels, il relève de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des propos réellement tenus ne serait que pure coïncidence

Titre : Roubaix, nous voilà !
Scène : Le salon d’un appartement lillois, début du XXe siècle. Marie-Louise, assise dans un fauteuil près du berceau de leur fille Jacqueline, feuillette un livre en anglais. Léon Bocquet entre, l’air triomphant, brandissant une lettre officielle.
LÉON (tout sourire, agitant la lettre) — Marie-Louise, prépare tes malles ! Nous partons pour Roubaix !
MARIE-LOUISE (levant un sourcil, sceptique) — Pardon ?!
LÉON (exalté) — Je viens d’être nommé rédacteur en chef du Journal de Roubaix ! C’est une promotion inespérée !
MARIE-LOUISE (posant son livre, méfiante) — Roubaix… Tu veux dire cette ville où le vent s’engouffre dans les ruelles et où les cheminées d’usines fument plus que nos cheminées de salon ?
LÉON (enthousiaste) — Roubaix, capitale du textile ! Ville de l’avenir ! Un carrefour industriel en pleine effervescence !
MARIE-LOUISE (croisant les bras, implacable) — Et où comptes-tu loger ta petite famille dans cette effervescence ?
LÉON (évasif) — Oh, ne t’inquiète pas, nous trouverons un charmant logement…
MARIE-LOUISE (l’interrompant, ironique) — Avec le chauffage, l’eau courante et une vraie salle de bains ?
LÉON (hésitant) — … Un logement pittoresque…
MARIE-LOUISE (tapant du pied) — Léon, je te préviens : Jacqueline a besoin de confort, d’une chambre bien chauffée, et moi, je refuse de vivre dans un quartier où je dois traverser une cour en sabots pour aller chercher de l’eau !
LÉON (se grattant la tête, conciliant) — Bon… d’accord, d’accord ! Je te promets qu’on trouvera une belle maison. Peut-être même une avec un jardin où Jacqueline pourra jouer quand elle grandira !
MARIE-LOUISE (moue sceptique) — Hm… Je veux voir ça avant de faire mes valises.
LÉON (cherchant à l’amadouer) — Et puis, pense aux opportunités ! Tu pourras perfectionner tes traductions au calme, pendant que moi, je façonnerai l’opinion publique roubaisienne !
MARIE-LOUISE (soufflant, mi-amusée, mi-résignée) — Bon, va pour Roubaix… mais si je trouve une araignée dans la cuisine, on retourne à Lille !
(Léon, soulagé, dépose un baiser sur la joue de sa femme et jette un regard attendri à Jacqueline, qui gazouille dans son berceau. Roubaix n’a qu’à bien se tenir : une nouvelle plume littéraire et une mère de famille déterminée sont en route.)
MORALE : Derrière chaque grand homme de lettres, il y a une femme qui s’assure qu’il n’oublie pas de payer l’eau et le chauffage. 😆
En 1905 Bocquet fut élu membre de l’Association de la Presse du Nord, et, peu après, il devint rédacteur en chef du Journal de Roubaix. Il quitta donc Lille pour Roubaix où il vécut jusqu’en 1910.
« La revue Le Beffroi de Léon Bocquet – 1962, Anna Mascarello