Où va la Poésie française ?

« Nous avons dit quel souci d’impartialité nous avions. Voici, au sujet de cette enquête, une lettre que nous avons reçue. Nous en publions quelques extraits. Notre correspondant, M. André Schanz, faisant allusion à l’article de Léon Bocquet, s’élève contre les éditions de luxe et réclame des livres de vers pour les petits salariés. Tel est…




« Nous avons dit quel souci d’impartialité nous avions. Voici, au sujet de cette enquête, une lettre que nous avons reçue. Nous en publions quelques extraits.

Notre correspondant, M. André Schanz, faisant allusion à l’article de Léon Bocquet, s’élève contre les éditions de luxe et réclame des livres de vers pour les petits salariés. Tel est qu’il écrit :

« Lecteur assidu du Soir et ami des poètes, je suis avec un très vif intérêt l’enquête que vous y menez sur cette question : Où va la poésie française ? Mais la conclusion que vous impose votre interview d’un des directeurs de la N.R.F. laisse une impression très nette du péril que court la Poésie. Il semble, à lire l’enquête, que cette poésie va tout uniment vers sa fin, un peu de la faute de tout le monde : des éditeurs, des libraires, des lecteurs et peut-être aussi des poètes eux-mêmes. Pour la vente du livre de vers, il n’y a de salut, répète-t-on, que dans l’édition à tirage limité. Vous l’avez souligné : « Tirage limité, cela veut dire quelques amis de la poésie et autant de bibliophiles ». Et on est optimiste, dites-vous, à la N.R.F.! »

« À ce compte, j’aime mieux le pessimisme dont faisait preuve précédemment, avec de sérieux arguments à l’appui de ses dires, le poète Léon Bocquet. Je sais l’autorité en la matière de l’ancien directeur de la revue Le Beffroi, l’ami de Samain, de Pergaud et de Léon Deubel. Je sais aussi que Les Branches lourdes et La Lumière d’Hellas devraient assurer à Léon Bocquet une des toutes premières places parmi les poètes contemporains. Pourtant, malgré l’admiration que j’ai pour ce fier et probe talent, je ne puis m’empêcher de trouver fâcheuses quelques-unes de ses déclarations. À son tour, ne semble-t-il pas pencher, hélas ! vers le tirage limité ? »

« La collection « Apollon » qu’il dirige n’est pas, somme toute autre chose, puisqu’elle est tirée à cinq cents exemplaires, numérotés, et que tous ces exemplaires sont ce qu’il est convenu d’appeler des « grands papiers ». Le prix des sept volumes qui les composent est prohibitif aux petites gens — Léon Bocquet ne me contredira pas — n’a-t-il pas écrit dans sa réponse : « Ma conviction est qu’il y a de ce côté (l’édition de luxe à tirage restreint) un sûr avenir réservé aux poèmes si l’on sait, par la présentation des volumes et la variété de leur contenu, intéresser les bibliophiles… qui ne regardent pas au prix ».

« Alors, c’est le livre de poèmes à l’usage seul des nouveaux riches, des dames de la haute et des bibliophiles qui ne se recrutent pas, j’imagine, parmi les petits salariés. C’est le livre à 75 francs, grâce à d’habiles spéculations marchandes avec la complicité d’experts complaisants et les « combines » des agents de publicité ou des habitués de l’Hôtel des Ventes ! C’est favoriser les puissances d’argent et les forces du snobisme organisé. »

« Alors, moi qui n’ai pas le moyen de m’offrir ces ouvrages de grand luxe, ni les loisirs nécessaires pour aller lire les poètes « chers » à la Nationale où ils sont dit-on, très demandés, il me faudra abandonner tout espoir de satisfaire le goût que j’ai de la poésie ! Telle petite ouvrière que je vois dans le métro ou l’autobus penchée sur un Lamartine ou un Hugo parce qu’il existe, heureusement, des éditions populaires de ces poètes, sera, comme moi, condamnée à ignorer les poètes les plus représentatifs de notre époque puisqu’on ne les imprime plus que sur Japon ou sur Arches, à petit nombre, aussitôt raflés sur le marché du livre ! Est-ce une manière de répandre l’idéalisme dans les âmes avides de le recevoir et de contribuer à favoriser le droit du peuple à la Beauté ? Je m’étonne que Léon Bocquet qui, par ailleurs, dans son œuvre de poète et de romancier, a fourni tant de preuves de sa générosité aux idées démocratiques (je songe, par exemple, à son poème Aux Travailleurs, des Cygnes Noirs et à certaines pages du Fardeau des Jours), n’ait pas aperçu qu’il faisait, dans sa réponse, des concessions inquiétantes à cet âge de matérialisme et de barbarie hostile à la poésie qu’il signale et déplore !

Les idées de M. André Schanz, comme on le voit, ne mettront pas tout le monde d’accord. »

Marcel Duminy – Le Soir du 12 février 1929 – Retronews.fr


« Nous recevons de Léon Bocquet la lettre suivante. Nous la publions avec le même souci d’impartialité que les précédentes :

Ainsi s’exprime Léon Bocquet. Disons encore une fois, que nous ne sommes pas de son côté à bien des points de vue. Mais il est loin d’avoir généralement tort. La poésie, c’est la vie, la terre, l’amour et le firmament. Aimons-nous par elle. On l’a vieillie. Qu’elle soit une étoile nouvelle.

Marcel Duminy – Le Soir du 8 mars 1919 – Retronews.fr