Les cygnes noirs

Les Cygnes noirs, par Léon Bocquet — Léon Bocquet a un grand ami mort : Albert Samain ; il a un grand ami vivant : Francis Jammes et il a mis sa poésie sous l’aile douce de ces âmes simples et sensibles. Elle unit comme une poignée de mains ces musiques douloureuses et fines dont…



Les Cygnes noirs, par Léon Bocquet — Léon Bocquet a un grand ami mort : Albert Samain ; il a un grand ami vivant : Francis Jammes et il a mis sa poésie sous l’aile douce de ces âmes simples et sensibles. Elle unit comme une poignée de mains ces musiques douloureuses et fines dont les unes appartiennent au passé et les autres au présent. Léon Bocquet garde dans ses vers les symboles de l’un et les conseils de l’autre. Il fait la bonne part de ce qu’il aime, de ce qu’il pleure et de ce qu’il chante. Il semble à peine avoir le temps de s’appartenir lui-même tant il veut perpétuer dans sa propre maison le culte de ses amis.

  • Vers les jardins épanouis dans la vallée,
  • Pleins de lune songeuse aux fleurs de pourpre et d’or,
  • Ton âme harmonieuse a fui, pure et voilée,
  • Plus frêle qu’un soupir de sainte qui s’endort.
  • Francis Jammes m’a dit : un livre grave est beau ;
  • Il est comme un parfum qui monte du silence
  • Ou du cœur d’une rose ouverte que balance
  • La douceur de l’automne au-dessus d’un tombeau.

Ces Cygnes noirs sont les images qui glissent sur le beau lac triste situé sur le chemin du cœur du poète. L’eau qu’ils écartent n’est pas tourmentée; elle frissonne seulement et elle a le goût des choses infinies et profondes.

Emile Sicard – Le Feu, 1 sept. 1906, p. 41/67


Plus récent est le beau recueil de Léon Bocquet : Les Cygnes Noirs. L’auteur s’est signalé déjà par ses poèmes de Flandre et sa remarquable étude sur Albert Samain. Cette fois, il s’élève plus souverainement à des idées, à des émotions générales, mais on sent à travers ses joies et ses peines passer toujours le souffle du pays natal. Il regrette la maison rustique et les travaux champêtres dont les circonstances l’éloignèrent, mais il sait vibrer à leur souvenir. Ses rêveries (« j’avais songé ceci… ») dressent des logis calmes enfouis dans les feuilles. Il dit d’une façon exquise les griseurs provinciales. Et sa harpe a vibré au vent de la mer. Il a des vers tout à fait jolis :

Les doigts légers du soir ont effeuillé les roses…

D’autres, vigoureux (aux Artisans) ont une grande noblesse sociale. M. Bocquet chante l’automne et le silence, les crépuscules et la douleur… jusqu’aux dernières pages où enfin l’allégresse l’emporte et monte « l’escalier de gloire et d’extase », parce que le poète comprend et saisit enfin le bonheur. Bien rarement le rythme défaille en ces pages de véritable inspiration ; le vers, libéré avec intelligence et sobriété, est d’une excellente facture. Et je suis sincèrement heureux de pouvoir applaudir avec franchise à l’effort d’un homme que j’avais craint un instant de voir sombrer dans le journalisme.

M.-C. Poinsot – La Grande revue, 1 août 1906, p. 220/224


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