Ce dialogue est une œuvre de fiction. Bien que basé sur des faits et des personnages réels, il relève de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des propos réellement tenus ne serait que pure coïncidence

Titre : La Poésie dans les Choux
Scène : Une fermette à Marquillies, en 1886. Dans le potager, entre deux rangées de choux bien alignés, un petit garçon accroupi, les mains pleines de terre, fixe un escargot avec une intensité dramatique. Derrière lui, une grand-mère robuste, tablier noué sur la taille, panier d’osier au bras, l’observe avec tendresse… et une pointe d’agacement.
GRAND-MÈRE (mains sur les hanches) — Léon, mon p’tit, t’es encore là à rêvasser dans les choux ?
LÉON (sans lever les yeux) — J’observe, Mémé. Regarde comme il avance lentement, mais sûrement… un vrai philosophe, cet escargot.
GRAND-MÈRE (soupirant) — Un escargot, un philosophe… et pourquoi pas un académicien tant qu’t’y es ?
LÉON (s’illuminant) — Tu crois qu’on peut être académicien et vivre dans un chou ?
GRAND-MÈRE (exaspérée) — Toi, tu vas surtout être académicien d’la fessée si tu viens pas aider à écosser ces pois !
LÉON (se redressant, mains pleines de terre) — Mais Mémé, moi j’aime bien écrire des poèmes dans mon grenier ! Là-haut, j’ai des idées, des histoires, des aventures…
GRAND-MÈRE (levant les yeux au ciel) — Ah ça, pour avoir des idées, t’en as ! Mais des bonnes, c’est une autre affaire… Et tu écris sur quoi, dis-moi ?
LÉON (fier comme un coq) — Sur la nature, sur les saisons, sur l’amour !
GRAND-MÈRE (sursautant) — L’amour ?! Mais t’as dix ans, mon garçon ! T’aimes qui, la poule du voisin ?
LÉON (riant) — Non, Mémé, l’amour avec un grand A ! Comme dans les romans !
GRAND-MÈRE (hochant la tête, sceptique) — Écoute-moi bien, mon p’tit. Les romans, c’est bon pour ceux qui ont du temps à perdre. Nous, ici, on a des pommes de terre à butter.
LÉON (songeur) — Peut-être… mais si je devenais écrivain, je pourrais raconter la vie du village, les champs, le vent dans les arbres…
GRAND-MÈRE (amusée malgré elle) — Oh, mais bien sûr ! Tu vas écrire Les Misérables version patate et betterave !
LÉON (fronçant les sourcils, vexé) — Tu verras, Mémé ! Un jour, je publierai mes poèmes, et tout le monde les lira !
GRAND-MÈRE (tapotant son épaule) — Bon, bah en attendant, commence par écrire l’histoire d’un garçon qui aide sa grand-mère au potager… Ça, c’est un vrai chef-d’œuvre en devenir !
(Elle lui tend un panier de haricots. Léon, vaincu mais pas convaincu, attrape une poignée tout en jetant un dernier regard rêveur à son escargot philosophe. Un poète est en train de naître… mais sous l’œil vigilant d’une grand-mère qui préfère les vers de terre aux vers littéraires.)
MORALE : On peut semer des pommes de terre et cultiver des rêves en même temps… mais avec une grand-mère dans les parages, mieux vaut commencer par les pommes de terre ! 😆
Chez sa grand’mère maternelle, on lui avait abandonné, au bout du potager, un coin à lui, où, dès venu le printemps, sous les lilas, les cytises, il élisait quasiment domicile et vivait en ermite. L’hiver il émigrait au grenier. Et l’on sait ce qu’un grenier de campagne recèle pour une âme de rêveur !
N. Secret : Léon Bocquet, écrivain lyrique – Paris, Albert Massein, 1933