Dixmude en flammes, mais pas notre verve !

Ce dialogue est une œuvre de fiction. Bien que basé sur des faits et des personnages réels, il relève de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des propos réellement tenus ne serait que pure coïncidence Titre : Dixmude en flammes, mais pas notre verve ! Scène : Paris, 1916. Dans un bureau du Ministère des…


Ce dialogue est une œuvre de fiction. Bien que basé sur des faits et des personnages réels, il relève de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des propos réellement tenus ne serait que pure coïncidence

Titre : Dixmude en flammes, mais pas notre verve !

Scène : Paris, 1916. Dans un bureau du Ministère des Régions Envahies, entre piles de dossiers et volutes de fumée de cigarettes. Léon Bocquet, en uniforme de secrétaire d’État-major, relit des rapports accablants. A côté de lui, Ernest Hosten, historien belge, soupire. L’ambiance est lourde, mais leur esprit ne plie pas.


ERNEST HOSTEN (sombre, feuilletant des notes) — Dixmude… Il ne reste plus rien. Pas un toit, pas un mur intact… une ville fantôme en plein feu.

LÉON BOCQUET (hoche la tête, grinçant) — Une ville qui n’a plus de fenêtres, mais qui a des trous d’obus à la place. Une ville où même les fantômes hésitent à rester.

ERNEST (ironique) — Vous croyez qu’ils ont fui en voyant l’état des façades ?

LÉON (soupire) — Probable. Et les vivants, eux, ont fui bien avant.

ERNEST (amer) — Sauf les soldats… Eux, ils restent. Enfin… ce qu’il en reste.

LÉON (prenant un rapport et lisant à haute voix)« La ville a été réduite à un amas de ruines et de cendres. »

ERNEST (pince-sans-rire) — Ah ! Voilà une description sobre et optimiste…

LÉON (fermant le rapport avec un bruit sec) — Et ce n’est que la première année de guerre.

ERNEST (se penchant en avant, l’œil vif malgré la fatigue) — Il faut écrire. Il faut raconter Dixmude. Pas seulement avec des chiffres et des dates. Avec des mots qui frappent.

LÉON (réfléchissant, puis avec une lueur d’ironie)Dixmude ou l’art de disparaître en une saison ?

ERNEST (hochant la tête)Dixmude, la ville qui a appris à respirer la fumée ?

LÉON (prenant un carnet, notant) — Ou mieux… Dixmude, le bûcher de la civilisation.

ERNEST (admiratif) — Voilà qui sonne.

LÉON (se levant, marchant de long en large) — Je vois déjà les phrases… Les maisons tombent en silence, les obus leur ont ôté la force de crier. Les rues n’ont plus de noms, elles ne sont plus que des blessures dans la terre. Il ne reste que la guerre, qui grignote chaque pierre comme une bête affamée.

ERNEST (hoche la tête, soupirant) — Vous avez raison. Ce n’est pas une ville détruite, c’est un grand cimetière, sauf que les tombes sont debout et les vivants couchés.

LÉON (amer, reposant son carnet) — Une ville où les rats sont plus nombreux que les habitants.

ERNEST (avec un sourire triste) — Et où ils voteraient sans doute mieux que certains gouvernements.

(Un silence. Les deux hommes échangent un regard. La guerre les broie, mais l’humour les maintient debout. Et l’écriture, elle, survivra aux flammes de Dixmude.)


MORALE : Quand tout s’effondre, il reste les mots. Et parfois, un bon mot pour supporter l’horreur.

[…] C’est bien au sein de l’État major du Ministère des Régions Envahies. La connaissance de la déroute des armées alliées y a été analysée, et Léon Bocquet, affecté spécial en tant que secrétaire, est au milieu du dispositif. C’est probablement la raison pour laquelle il publie en 1916 avec un co-auteur Ernest Hosten une œuvre rapportant le désastre la première année de la guerre L’agonie de Dixmude, épisodes de la Bataille de l’Yser (18-19 octobre 1914)

Léon Bocquet (1876-1954), guerre et littérature, par Chantal Dhennin