Courages français

M. Léon Bocquet a recueilli et fidèlement rapporté dans ce livre un petit nombre de récits d’évasions. Il a eu sans doute l’embarras du choix, mais c’est une épreuve dont il s’est tiré à son honneur. La demi-douzaine d’aventures dont il s’est constitué l’historiographe coloré et vivant sont des « types » excellents de ces…





M. Léon Bocquet a recueilli et fidèlement rapporté dans ce livre un petit nombre de récits d’évasions. Il a eu sans doute l’embarras du choix, mais c’est une épreuve dont il s’est tiré à son honneur. La demi-douzaine d’aventures dont il s’est constitué l’historiographe coloré et vivant sont des « types » excellents de ces « courages français » qui se sont dépensés par milliers. Paysans, Parisiens, chefs d’industrie, aviateurs, tous possèdent sous des aspects divers la même indomptable et rebondissante énergie. Ils ouvrent des vues qui ne s’oublient plus sur la puissance incroyable de la créature humaine quand elle sait réfléchir et oser. J’avoue, dans ce livre, une préférence instinctive pour deux héros, Schœnenberger et Bordeaux, mais tous méritent d’être connus et médités, spécialement de la jeunesse : il n’y a peut-être pas de meilleure lecture pour éveiller des hommes.

Charles Pichon , La Revue des jeunes, 10 oct. 1921. – Retronews.fr


Il semble toujours qu’on en a fini avec les histoires des prisonniers de la grande guerre et il reste toujours à dire, à raconter des aventures et des épisodes, — des évasions le plus souvent dramatiques comme celles que nous apporte le volume de M. Léon Bocquet, Courages français, qui en met en scène un certain nombre et raconte les misères, la détresse des malheureux contre lesquels s’acharna la lâcheté allemande. C’est le calvaire des détenus envoyés en représailles, — en représailles de quoi ? — ou forcés aux durs travaux des mines ; les persécutions organisées contre ceux qui n’ont pas voulu s’y rendre, malgré quinze jours de mise au piquet ; — le soldat Duchâtelet, par exemple, dont on nous raconte les aventures, et la fuite. Il se proposa « pour le rabot, — menuisier ; — quand on demanda des volontaires il réussit à déguerpir bientôt avec un camarade, mais dut traverser des régions marécageuses, aux terrains détrempés, spongieux, fut repris et jeté dans un cachot. Ramené au camp, il ne songea qu’à recommencer, en attendant quoi, il dut travailler dans une mine de sel, dans des conditions atroces. Une seconde tentative le conduisit près de la frontière, mais échoua encore. Chaque fois la captivité se faisait plus rigoureuse. Duchâtelet essaya encore de s’enfuir, avec un petit fantassin belge. Il fut de nouveau repris et roué de coups quand il réintégra la mine. Avec deux compagnons qui se trouvaient dans une ferme des environs il fit un quatrième essai ; mais l’un, malade, dut abandonner en route ; le deuxième renonça également bientôt et Duchâtelet seul parvint enfin à franchir la frontière de Hollande. — La place me manque pour analyser les autres histoires que contient le livre de M. Léon Bocquet ; à commencer par les aventures du lieutenant Chaigneau, qui entreprit de simuler la folie après diverses tentatives d’évasion, joua longtemps et courageusement son rôle, et se fit rapatrier enfin, — après quarante et un mois de captivité. C’est encore l’histoire du prisonnier alsacien Schœnenberger, en service chez des fermiers, et dont les aventures forment un long chapitre ; les évasions d’Antoine Buffet, de Papoul et Tascher qui réussirent à gagner les cantons helvétiques, mais dont un compagnon se noya dans le Rhin ; enfin le roman de l’aviateur Bordeaux, qui se présente avec un actif de onze évasions, cent vingt-huit nuits de marche et près d’un demi-millier de jours d’arrêts et de sévices, et qui finit par être interné en Suisse, après avoir organisé une société pour favoriser les évasions, juste 48 heures avant l’armistice qui allait lui rendre la liberté. — Chacune de ces histoires est, en somme, un véritable roman d’aventures. Mais l’auteur, s’il en a collectionné d’intéressantes, n’a pu que faire un choix parmi les documents qui traitent des évasions de prisonniers. En effet, on en a compté 16.000 dans les camps d’Allemagne, malgré la surveillance, les fils barbelés, les services divers, — qui d’ailleurs excitaient plutôt les détenus à prendre le large sitôt qu’ils trouvaient l’occasion favorable. Il reste toujours que M. Léon Bocquet a publié un livre « édifiant » en somme, — et si l’on voulait le prendre en bonne part, j’irais jusqu’à dire que très volontiers je le mettrais sur une liste d’ouvrages à donner en prix dans les Écoles ou dans la librairie d’étrennes, — pour ceux qui ne veulent pas absolument offrir à leurs fils de simples amusettes. C’est bien, en effet, un tableau du courage français, et devant lequel nous ne devons jamais oublier ce que fut, dans la plupart des cas, la lâcheté et la méchanceté de l’Allemand.

Charles Merki – Mercure de France, 1 déc. 1921 – Retronews.fr