Autour d’Albert Samain

C’est aussi avec une fervente admiration et une exacte connaissance critique que M. Léon Bocquet, dans le très intéressant volume qu’il a intitulé Autour d’Albert Samain, nous entretient du poète de Au Jardin de l’Infante et de Aux flancs du vase à qui il avait déjà consacré une étude biographique et littéraire qui complète très…


C’est aussi avec une fervente admiration et une exacte connaissance critique que M. Léon Bocquet, dans le très intéressant volume qu’il a intitulé Autour d’Albert Samain, nous entretient du poète de Au Jardin de l’Infante et de Aux flancs du vase à qui il avait déjà consacré une étude biographique et littéraire qui complète très heureusement le présent ouvrage. M. Léon Bocquet nous y donne maints précieux détails nouveaux sur la vie et l’œuvre de ce poète de beau et noble talent dont la gloire, discrète en son étendue, compte des admirateurs fidèles et zélés et dont la mémoire est entourée d’un respect tout particulier et d’une estime spécialement attentive.

Albert Samain est, dans les lettres, une figure éminemment sympathique et que M. Léon Bocquet nous rend plus sympathique encore par tout ce qu’il nous apprend sur l’existence intime de cet écrivain qui accepta courageusement d’humbles fonctions bureaucratiques et ne connut guère d’autres joies que celles de l’art et de la poésie. S’il ne cueillit pas au jardin des muses les fleurs éclatantes des succès bruyants et des renommées éclatantes, il y détacha du vert laurier une de ces feuilles qui, selon l’expression de Malherbe, « gardent les noms de vieillir ».

Henri de Régnier, de l’Académie française – Le Figaro du 25 oct 1933 – Retronews.fr


M. Léon Bocquet, étant du Nord, n’a pas réuni Autour d’Albert Samain un recueil d’études nouvelles sans une arrière-pensée d’apologie régionaliste. C’est un propos très respectable, et qui d’ailleurs ne l’entraîne pas à un enthousiasme délirant pour son héros. Albert Samain demeure certes un des poètes les plus lus de la génération éteinte. Les atteintes qu’on porte à sa gloire sont vivement ressenties par la grand public. Il me souvient combien le regretté Charles Derennes scandalisa de gens pour avoir déclaré dédaigneusement que l’auteur du Chariot d’or était « le type du lyrique pour sous-préfètes ».

Il est très vrai que Samain garde pour principal mérite d’avoir apprivoisé la foule au symbolisme; il avait tempéré ce dernier avec tous les ingrédients des écoles précédentes, romantisme et Parnasse. M. Léon Bocquet reconnaît qu’il fut « tour à tour réaliste comme Richepin, bonhomme comme Coppée, humoriste, descriptif, peintre de genre », et en définitive « livresque comme toute son époque ». Il a servi d’introducteur à un néo-paganisme facile, à un baudelairisme au rabais, à un wildisme bourgeois. Mais enfin ce suiveur était un agréable virtuose, et qui de temps en temps a fait sortir des cent « guitares » qu’il emprunta des accents véritablement élégiaques.

Son commentateur semble mettre au pinacle de son œuvre l’honorable Polyphème. Je ne le suivrais pas volontiers dans ce jugement. Mais peu importe. Comme l’histoire statistique, celle du fait et non du droit, peut rendre de grands services à la connaissance des lettres, on ne peut nier qu’Albert Samain n’occupe une grande place dans ce que j’appellerai l’équipe de propagande de la poésie moderne.

Sa vie personnelle, que M. Bocquet étudie avec une minutie touchante, est celle d’un personnage de Coppée, sinon de Charles-Louis Philippe. Il n’avait pu faire ses études secondaires, ce qui rend plus noble encore le souci qu’il a eu de l’humanisme et plus excusables son excès de « littérature », son esthétisme naïf. Il fut expéditionnaire à la préfecture de la Seine et ne put jamais passer rédacteur. Il noua de petites idylles bourgeoises et populaires, dont certaines eurent pour théâtre des bals de calicots. Une grande amitié intellectuelle nous est révélée par ce livre, celle qu’il entretint avec un étudiant d’outre-Rhin, M. Georg Salomonsohn, qui est devenu en son pays un gros commerçant. On doit à ce dernier beaucoup de souvenirs originaux sur le poète. Samain, enfin, mourut physique, comme on sait, après avoir longtemps souffert, mais on peut noter que l’Administration (temps héroïques!) le traita humainement jusqu’au bout.

M. Léon Bocquet a étoffé son livre avec quelques articles peu retouchés, et qui ne forment guère que des « Mélanges ». Tel quel, le volume contient des documents profitables, et aussi le recueil de lettres et de billets qu’on vient d’éditer. Les correspondants sont tous notables ou célèbres. Les textes sont un peu insignifiants. Les plus curieux se trouvent dans des missives à Rodenbach ou à Pierre Louÿs, relevant de la critique amicale. Les plus émouvants, poignants même, sont des confidences que faisait le poète à M. Paul Morisse, de sa pauvre petite vie paisible et menacée.

André Thérive – Le Temps du 18 mai 1933 – Retronews.fr


La notoriété, la gloire même d’Albert Samain n’ont pas cessé, comme on dit, de grandir. Comme pour Léon Deubel, il a fallu, à la vérité, que l’auteur du Jardin de l’Infante soit mort pour voir son œuvre magnifiée, répandue et aimée.

Tout le monde ne peut être la divine comtesse et recueillir d’emblée, par sa grâce et par ses rimes, l’assentiment et l’audience publics. Anna de Noailles, de ce point d’histoire, demeure unique sans doute. Albert Samain n’avait pour plaire que ses vers. C’est trop souvent, assez peu. Le poète d’Aux flancs du vase était timide, effacé, de complexion dolente. Cette belle sérénité, cette superbe audace de quelques-uns qui ne le valaient pas et ne le valent pas, lui faisaient défaut.

Il souffrait de cette hésitation, de son absence de témérité. Ce grand amoureux ne savait pas aimer, surtout il ne savait pas se faire aimer.

Et sa vie fut pitoyable. Il vécut autant dire seul, désolé, ardent, et son cœur occupé seulement de chimère. Il aima trop la Femme pour s’en prendre aux femmes et aucune — sauf sa mère — ne comprit la chaleur de cette âme bondissante et de cet esprit somptueux.

Comme Léon Deubel, Albert Samain a chanté sa peine, ses désillusions et la folie de son rêve trop beau. Il se consuma au feu de son propre cœur. M. Léon Bocquet nous rapporte tout cela dans un ouvrage des plus complets où il nous conte l’aventure terrestre et l’histoire littéraire d’Albert Samain.

L’histoire littéraire de Samain est moins triste que son aventure terrestre. S’il ne rencontra pas la femme de ses rêves, s’il ne rencontra nulle femme charitable, il trouva, du moins, des amitiés sincères, probes, et qui ne lui font pas défaut encore aujourd’hui, l’exemple de M. Léon Bocquet est là.

Il est regrettable qu’un Charles Guérin n’ait pas au service de sa mémoire les précieuses attentions d’un Léon Bocquet car Charles Guérin aussi est un grand poète et qui a su écrire sur la douleur ou la douceur d’aimer, des vers hautains, forts, grandioses et touchants.

Le livre de M. Léon Bocquet, Autour d’Albert Samain, nous fait connaître au mieux Samain adolescent, Samain fonctionnaire, Samain amoureux, les derniers jours et les fréquentations de Samain. Et nous apprenons qu’Albert Samain qui ne composa que Polyphème rêva toujours et rêva surtout d’être un homme de théâtre.

La vie des hommes est rarement telle qu’ils l’ont souhaitée et c’est pourquoi un Léon Deubel se jette, un matin dans la Marne.

Fernand Demeure – La Volonté du 12 mai 1933 – Retronews.fr