La cloche historique de Marquillies

Une légende jolie veut que, le jeudi-Saint dans un joyeux accord de lointaine musique, les cloches chrétiennes s’en aillent péleriner vers la Rome catholique. Et quand elles reviennent de là-bas, elles portent sous leur ample et roide robe de bronze, les œufs de Pâques multicolores qu’elles sèment au passage, pour la joie des enfants, parmi…


Une légende jolie veut que, le jeudi-Saint dans un joyeux accord de lointaine musique, les cloches chrétiennes s’en aillent péleriner vers la Rome catholique. Et quand elles reviennent de là-bas, elles portent sous leur ample et roide robe de bronze, les œufs de Pâques multicolores qu’elles sèment au passage, pour la joie des enfants, parmi les touffes d’herbe des jardins, les buissons et les premières fleurs du printemps reverdi.

Mais beaucoup de nos cloches flamandes, artésiennes et picardes n’accomplirent point encore cette année, le traditionnel voyage « ad limina ».

Il en est trop qui n’ont pu prendre leur essor de la logette aérienne, d’où elles idéalisent le monde et la vie. Il en est trop, hélas ! citadines ou paysannes, qui sous les ruines de leurs tours abattues par la guerre, gisent mortes à jamais. Et d’autres, pareilles à de grands blessés, ne vivent plus que par miracle au sommet de leurs beffrois fracassés, mais d’une vie dérisoire, mutilée, silencieuse.

Je songe à vous, carillons vieillots de Comines, de La Gorgue, d’Armentières, d’Orchies ou d’Esquelbecque ; à vous, graves bourdons des cathédrales des Notre-Dame de Cambrai ou d’Arras, Marie de Béthune, Scolastique de Douai, Amanda de Saint-Amand, ..

Oh ! Des grelots clairs et les sonnailles légères au-dessus des marchés hebdomadaires, des foires et des ducasses que faisaient entendre jadis, sur des airs surannés de gavotte, les cloches anéanties de La Bassée ou de Bailleul ! Voix grêles et émouvantes de la plaine, annonciatrices des Angélus de l’aube ou du crépuscule, qu’elles étaient douces les harmonies déroulées par les clarines des campaniles rustiques ! Et je songe à vous surtout, cloche du village natal, Geneviève-Claudine ; au si beau nom, dont le tintinnabulis d’argent évoquait des troupeaux épars au fond des pâtures abondantes. Je veux dire un peu votre aventure, Geneviève Claudine de Marquillies …

Elle ne se contentait point d’annoncer la naissance ou la mort, le couvre-feu ou l’incendie, de tinter pour les messes de l’aurore. pour les vêpres et les saluts. Sur sa ceinture brodée on pouvait lire le double témoignage de sa foi. Elle disait : Je loue le vrai Dieu, j’appelle les fidèles aux offices divins et j’espère sonner un jour la victoire et le retour à la France, de l’Alsace et de la Lorraine ».
Pour avoir ainsi affirmé sa confiance en la Patrie, elle fut emmenée captive en Germanie. Après quoi, les Allemands écrasèrent, sous les pierres éclatées de sa haute tour massive et sous les débris de l’église, les pauvres tombes du cimetière où dormaient des générations de braves gens. Cela se passait en mars 1918, quand l’envahisseur fit évacuer la commune. Geneviève-Claudine prit la route de l’exil. Elle était à Cologne, lors de l’armistice et c’est par Metz, où on lui fit fête, qu’elle est revenue juste un an après son départ. Elle attend, pour sonner la victoire, le clocher neuf d’où elle dominera, comme par le passé, les champs de colza blond, les lins bleus, les betteraves et les épis mûrs et tout le pays renaissant. On se demande sans doute comment il se fait que, précisément, cette cloche-là, portait cette fière déclaration qui lui valut d’être prisonnière et considérée comme trophée de guerre. C’est là un petit problème historique que je suis peut-être le seul à pouvoir résoudre aujourd’hui.
En 1897, la paroisse de Marquillies décida de remplacer l’ancienne cloche de 3.000 kilos qui s’était fêlée par un long usage. J’eus la curiosité, ou le pressentiment, de copier alors l’inscription gravée dans l’airain qu’on allait jeter à la fonte. Cette inscription, la voici, telle que je viens de la retrouver sur un vieux carnet de poche d’il y a presque un quart de siècle
« L’an 1785, j’ai été bénite et nommée Louise-Geneviève par son Altesse, Monseigneur Louis-René-Edouard, prince de Rohan, cardinal de la Sainte-Eglise romaine, évêque de Strasbourg, Landgrave d’Alsace. Prince d’Etat d’Empire, grand aumônier de France, commandeur de l’ordre du St-Esprit, proviseur de Sorbonne, abbé et administrateur général tant au spirituel qu’au temporel de l’abbaye royale de Saint-Vaast d’Arras. » Et c’est pourquoi Louise-Geneviève ayant été baptisée par un évêque de Strasbourg, électeur de l’empire germanique, il avait paru tout naturel à M. Max Brame. alors conseiller général du Nord et parrain de Geneviève-Claudine, de faire dire par sa filleule les paroles d’espoir qui rattachaient à la France les provinces perdues. Péché irrémissible aux yeux des Allemands, mais qui fit son salut et sa gloire !

Léon BOCQUET. Grand Echo du Nord et du Pas-De-Calais du Lundi 5 avril 1920 – Gallica.bnf.fr

Pour en savoir plus sur l’histoire de la cloche de Marquillies, il faut se procurer la revue n°20 éditée par le Cercle Historique de Marquillies