Autour du prix Goncourt

— Félicitations… très cher… heureux… beau succès. Les mains se tendent, les yeux sourient, les lèvres distillent le miel des compliments. Au milieu du groupe le poète Léon Bocquet tourne sa royale de mousquetaire de droite et de gauche et remercie en protestant : — Mais, voyons, il ne s’agit pas de moi… Enfin j’accepte…



— Félicitations… très cher… heureux… beau succès.

Les mains se tendent, les yeux sourient, les lèvres distillent le miel des compliments. Au milieu du groupe le poète Léon Bocquet tourne sa royale de mousquetaire de droite et de gauche et remercie en protestant :

— Mais, voyons, il ne s’agit pas de moi… Enfin j’accepte les compliments… Je les transmets à notre ami lointain.

— Vous êtes le frère blanc de René Maran et c’est à ce titre qu’on vous porte les hommages qui lui sont dus.

— C’est vrai ; depuis la mort de ce pauvre André Lafont, je suis le meilleur ami de Maran.

— Le connaissez-vous depuis longtemps ?

— J’ai fait sa connaissance en 1908. Maran avait alors 20 ans et terminait ses études. Né aux Antilles, élevé au lycée de Bordeaux, il connut André Lafont, alors répétiteur dans cette maison. Lafont m’adressa des vers de lui que je jugeai faibles. Certains cependant furent publiés dans le Beffroi, disparu depuis la guerre et auquel collabora également Louis Pergaud, un autre prix Goncourt.

Quelque temps après Maran publie aux éditions du Beffroi son premier livre de vers : La Maison du Bonheur.

Sur ces entrefaites Maran débute aux colonies, à Grimari, dans le Haut-Oubangui. En 1912, un second volume de vers très supérieur au premier voit le jour : La Vie intérieure. Le livre fut bien accueilli. Dès cette année 1912, Maran a l’idée d’un roman qu’il commence bientôt et qui sera Batouala. Le livre fut écrit en six ans et Maran m’adressa le roman chapitre par chapitre, sollicitant les impressions et les critiques. Notez que je possède à l’heure actuelle deux versions totalement différentes de Batouala.

— La préface du livre n’a-t-elle pas effarouché un moment les Dix ?

— Sans doute et l’on se hâta, sur cette préface, pour dire que Maran était un mauvais Français. Dites bien que Maran, pendant la guerre, a fait aux colonies son devoir aux différents postes de fonctionnaire et de soldat qu’il occupa. Quant aux idées contenues dans sa préface, il faut penser, pour les juger, que Maran est noir, a souffert des préjugés dont nous, blancs, hommes supérieurs, nous avons su nous affranchir. Maran est un tendre, un sensible, un poète pour tout dire.

— Quelles œuvres succédèrent à Batouala ?

— Deux livres de vers : Le Visage calme et Le Livre du Souvenir, ce dernier consacré à ses parents.

Enfin Maran nous donnera un roman dont le titre provisoire est : Regard d’un noir sur les blancs, œuvre sincère et désenchantée, roman auto-biographique.

L. C. – L’intransigeant du 16 décembre 1921 – Retronews


En 1924, plusieurs auteurs étaient en compétition pour le prestigieux Prix Goncourt, parmi lesquels Léon Bocquet, qui espérait ardemment une victoire, souhaitant devenir le troisième auteur d’articles dans la revue littéraire Le Beffroi à remporter ce prix, après Louis Pergaud en 1910 et René Maran en 1921. Malheureusement, c’est Thierry Sandre qui a été couronné cette année-là, laissant Léon Bocquet avec une profonde déception.

Journal des débats politiques et littéraires du 11 décembre 1924