,

Contes d’un buveur de bière

PREFACE DE LEON BOCQUET CHARLES DEULIN, SA VIE ET SON ŒUVRE – (1827-1877) Charles Deulin? Ne cherchez pas ce nom dans les littératures qui se pensent à la page. Ni, bien entendu, dans aucun manuel scolaire, fût-il d’un universitaire d’opinion avancée. Vous ne l’y trouveriez point. Sans doute Charles Deulin est-il mentionné dans le grand…


PREFACE DE LEON BOCQUET

CHARLES DEULIN, SA VIE ET SON ŒUVRE – (1827-1877)

Charles Deulin? Ne cherchez pas ce nom dans les littératures qui se pensent à la page. Ni, bien entendu, dans aucun manuel scolaire, fût-il d’un universitaire d’opinion avancée. Vous ne l’y trouveriez point. Sans doute Charles Deulin est-il mentionné dans le grand Larousse. Pas ailleurs. Oh! sans fracas. Par dix lignes qui, pour n’être pas tout à fait dédaigneuses, n’en sont pas moins insuffisantes à l’endroit de l’homme et de son œuvre. Aux catalogues des bouquinistes, voici longtemps déjà qu’aucun des livres de celui qui fut un conteur de belle lignée n’apparaît plus que comme une denrée rarissime et, au surplus, nullement prisée à sa valeur. Et quand, pour la satisfaction de quelques-uns, un libraire du Nord se risque, avec la complicité d’un artiste, à un tirage de haut luxe et d’un chiffre tellement restreint d’exemplaires que les bénéficiaires s’en comptent sur les doigts, il est, ici et là, des gens pour s’étonner. Dans ce geste de bibliophile, plusieurs ne veulent voir qu’un sentiment touchant en vue de rendre à un quelconque écrivain local, de renommée peut-être usurpée dans son département, une lumière sans vif éclat, sans durée ni prolongement. On bien, l’exhumation assez vaine, par des mains pieusement érudites, d’un ouvrage ou deux, enlisés peu à peu par l’ombre séculaire dévoratrice des écrits. Et qu’on pouvait, en outre, y laisser sans dommage.

Qu’on se détrompe! Charles Deulin, prince des conteurs, en ce XIXe siècle où il s’en rencontra plusieurs de qualité, et, en France, où de Perrault et de La Fontaine à Voltaire, Nodier, Balzac, Mérimée et Daudet — contes de fées, contes légers, contes philosophiques, fantastiques ou drôlatiques — le genre est particulièrement riche, Charles Deulin mérite mieux que l’oubli et l’ingrate indifférence des critiques officiels ou non. Mieux aussi que la gloire limitée qui, dans la région où il a vu le jour et dont il a dessiné le visage fantaisiste et pittoresque, lui est assurée parfois au souvenir des lettrés et des amateurs pourvus de loisirs et de rentes. Il devrait avoir l’audience de tous les hommes de goût et d’esprit, qu’ils soient du Nord ou du Midi, ainsi que des pays où la littérature française est cultivée et à l’honneur.

Par quelle fatalité des livres, dont deux sur cinq ouvrages d’imagination s’attestent de premier plan, demeurent-ils comme rayés de cette littérature? Destin de l’imprimé, sans doute. Mais une sorte d’ostracisme pèse sur l’écrivain et que ne suffisent à justifier ni l’humilité de ses origines, ni les difficultés et les misères de sa vie, ni des aventures amoureuses et des mésaventures et déboires conjugaux, non plus qu’un caractère ombrageux et mal liant et une brusque fin. On me permettra de croire, sinon de démontrer, qu’une sourde et tenace volonté, du vivant de Charles Deulin et surtout après sa mort, a aidé ici la malice du sort.

Sa vie comporte assez de romanesque et de passion, elle s’enveloppe d’une atmosphère obscurcie de noires machinations, d’intrigues et de mystère, ainsi que de malchance coupée de brèves réussites, si bien qu’elle incite à solliciter les curiosités en quête d’imprévu et de contrastes. Ses ouvrages, tous ses ouvrages, qui renferment de lui-même, sous une apparence purement objective, plus que l’on est tenté de penser d’abord, offrent de précieuses ressources documentaires aux investigations. Ils peuvent fournir, après recoupement de contrôle et d’usage, les éléments essentiels capables d’alimenter les chapitres d’une biographie qui reste à écrire et qu’il importerait de dégager, des maintenant, des légendes sournoisement colportées et des à-peu-près en circulation au pays natal, afin de la restituer à la vérité sans fard et à l’histoire. Par surcroît, une étude sur la littérature du récit ou de la nouvelle au XIXe siècle se conçoit à peine, si l’on n’y indique la part d’un Charles Deulin dans le développement des œuvres inspirées par le terroir et sa large contribution au roman de mœurs provinciales encore vagissant. Son influence méconnue, voire insoupçonnée, directe ou par rebonds, immédiate ou posthume, apparaîtrait plus vaste et décisive, non seulement sur beaucoup d’écrivains du Nord tant morts que vivants, mais sur la plupart des prosateurs de Belgique, d’expression néerlandaise ou d’expression française, notamment les bons conteurs de Wallonie.

Suite à venir ….

Léon Bocquet


C’est parce que la connaissance de l’œuvre si originale du conteur septentrional Charles Deulin (1827-1877) et originaire de Condé-sur-Escaut, demeure l’apanage exclusif de quelques lettrés au goût averti que Léon Bocquet, critique sagace et pénétrant, et au surplus, analyste perspicace et pitoyable des « destinées mauvaises », a entrepris de révéler au public le grand talent, méconnu, en général, il faut en convenir, de l’auteur des « Contes d’un buveur de bière ». C’est donc une excellente réédition des œuvres principales de Charles Deulin que notre éminent compatriote Léon Bocquet, justement apprécié dans les milieux intellectuels de la Picardie, vient de donner aux éditions du « Mercure de France ». Rien ne peut mieux servir la mémoire du délicieux conteur, à la verve si spontanée que la publication des « Contes d’un buveur de bière » et des « Contes du roi Gambrinus » dont la lecture était jusqu’ici réservée aux seuls bibliophiles pouvant s’offrir des éditions de luxe à tirage restreint.

Cette vulgarisation à laquelle Léon Bocquet apporte toute sa foi et toute son ardeur, doit forcement contribuer à faire connaître et apprécier un écrivain de chez nous dont l’existence ne manque ni de romanesque ni de passion.

Une admirable introduction — véritable modèle du genre — témoignant de la scrupuleuse sûreté d’information apportée en cette matière par Léon Bocquet, nous fait pénétrer dans l’intimité de l’homme en même temps qu’elle renseigne sur la genèse d’une œuvre appartenant non seulement au folklore régional, mais encore et surtout à notre littérature nationale. Charles Deulin est et doit rester, écrit Léon Bocquet, dans la mémoire des hommes, l’écrivain délicieux et l’artiste foncièrement original des contes populaires de France et de Belgique. Dans ce domaine, il est prince et magicien, prince des bons conteurs septentrionaux et des conteurs français, parce qu’il est demeuré là dans la vieille et saine tradition à la fois réaliste et fantaisiste des petits maîtres des Pays-Bas.

Puisse l’effort si louable de Léon Bocquet provoquer la réhabilitation d’un grand écrivain injustement méconnu.

Le Progrès de la Somme du 25 juin 1943 – Retronews.fr