Léon Deubel, Roi de Chimérie

Léon Deubel, roi de Chimérie, par M. Léon Bocquet (Bernard Grasset, édit.). — « Roi de Chimérie », dit M. Léon Bocquet. A vrai dire son livre pose un problème : celui du poète — comme il n’en existe plus guère — qui ne peut pas s’adapter à une autre forme d’activité que celle de…



Léon Deubel, roi de Chimérie, par M. Léon Bocquet (Bernard Grasset, édit.). — « Roi de Chimérie », dit M. Léon Bocquet. A vrai dire son livre pose un problème : celui du poète — comme il n’en existe plus guère — qui ne peut pas s’adapter à une autre forme d’activité que celle de la poésie.

Deubel est décrit ici, avec piété, amitié, clairvoyance et indulgence. M. Bocquet nous conte presque toutes les tentatives qui furent faites pour le tirer d’une misère dans laquelle il retombait toujours pour une raison identique : inadaptation. Ce livre est triste, mais il n’accuse pas, il est sans violence. Mais en dépit des torts de son héros, nous ne pouvons nous résoudre à croire que devant son cas, il n’y ait qu’à invoquer la fatalité et l’écrasement du poète par une société aveuglée par l’égoïsme.

L’intransigeant du 18 août 1930 – Retronews.fr


Léon BOCQUET : Léon Deubel, roi de Chimérie (Grasset). — Nul n’était mieux qualifié que Léon Bocquet pour raconter l’histoire de la vie douloureuse et de la mort tragique du poète Deubel. Une fraternelle compassion anime ces belles pages biographiques.

Le Populaire du 17 juillet 1930 – Retronews.fr


Ainsi M. Léon Bocquet nomme Léon Deubel, sur qui il vient de publier un nouveau travail d’une grave importance et d’une douce générosité, Léon Deubel est passé maintenant à l’immortalité après être mort le plus misérablement qu’il se peut, assassiné par le quotidien, ennemi des poètes et des rêveurs, tout comme Gérard de Nerval.

La vie est cruelle aux enfants des Muses. Celle de Léon Deubel est particulièrement triste. Il semble qu’elle est la vie, plus odieuse sournoisement aux pauvres diables assez fous pour mettre en elle leur espoir et leur foi. L’auteur de ce volume de vers, Régner en sut quelque chose.

Né quasi d’un hasard, au plus tendre de la jeunesse de ses parents, Léon Deubel encore vagissant, sentit peser sur lui la griffe de la vie. Moralement il fut orphelin presque tout de suite. Quand il put embrasser sa mère qui l’avait fui, elle n’était qu’un cadavre. On sait la parole de cet autre auteur qui dit misérable celui-ci qui a qui sa mère n’a pas souri en sa jeune saison. Il semble que Léon Deubel ait porté toute sa vie le poids de cette subtile malédiction.

Il fut un triste. Les jours lui furent sans cesse ennemis et quand il paraissait qu’un rayon de soleil les allait dorer, la chance tournait Il douta de tout. Et il fut cet homme, pour qui Charles Maurras a, jadis, dit sans doute qu’il n’avait qu’à disparaître puisqu’il ne savait plus s’adapter au monde environnant. Et un soir, il se laissa glisser dans la Marne.

De même qu’il n’avait rencontré que peu d’amis dans son âge, de même ne rencontra-t-il, mort que le silence. On ne pouvait pas encore monnayer sa mémoire : ses papiers ne se pouvaient échanger contre des sequins. L’auteur de La Chanson balbutiante menaça de sombrer une deuxième fois dans la mort. Mais les Muses veillaient sur leur fidèle. Lentement doucement, il récita quelques-unes de ses strophes et Léon Bocquet ne cessant de batailler au profit de son ami défunt, on parvint à étendre le nom et l’œuvre de ce dernier poète maudit.

À présent son patronyme rayonne. Léon Deubel a l’agrément et l’audience non seulement des poètes et des écrivains, mais le grand public le lit et se le récite. Il est notoire. Récemment, Georges Duhamel a préfacé le recueil de ses œuvres.

Pour en arriver là, il n’a suffi à notre poète que d’être sincère. réprouvé hier mais fidèle à son idéal et sans cesse travaillant selon son coeur et sa raison, sans rien abdiquer de lui-même. Léon Deubel, aujourd’hui, est saint dans le temple de la Poésie. Il nous est une rude leçon. Il doit enseigner l’humilité à notre modernité avide de paraître et d’arriver. Il faudrait, quand un jeune l’engage dans la carrière si compliquée des Lettres, il faudrait lui faire lire d’abord la vie de Léon Deubel. qui préféra à l’immolation de sa personnalité, le sacrifice de sa vie. Le nouveau livre de Léon Bocquet doit être fait pour cela. Et c’est fort bien.

Fernand Demeure – La Volonté du 28 mai 1930 – Retronews.fr