


M. Léon Bocquet est un de nos honoraires. Romancier, critique, historien, L. Bocquet est surtout et foncièrement poète, et rien n’en peut mieux convaincre que l’édition définitive d’une partie de ses œuvres en vers, qu’il vient de réunir sous le titre Ciguës (Mercure de France, Paris 1938).
Fils aimant du septentrion et de son « ciel de grisaille et de cendre », L. Bocquet débute, en cinquante sonnets, par les « évocations de la Flandre« , sa terre natale et de prédilection, tout ensemble métallurgique et bucolique, terre des aciéries et des grasses meules, des mines et du houblon, des beffrois et des moulin, des carillons et des ducasses.
Le tendre réalisme descriptif de ces poèmes fait prévoir tout ce qu’on va trouver dans les quarante pièces qui suivent : La Lumière d’Hellas, de vaporeuse, impalpable et délicate poésie inspirée par la Grèce antique, La Canéphore, A une amoureuse, l’Aulète, Crépuscule, sont d’une fluidité charmante. Par les vers de Crucifixions, nous entendons le cri de malédiction jeté contre les mutilateurs de la mère patrie, tandis que s’analysant le poète tirera du fonds de lui-même, dans Ciguës, les accents d’un lyrisme parfois douloureux où s’affirma s-« lève le front, sois mâle et fort » – beaucoup d’orgueil salubre et de courage. Tous les vers du recueil se réfèrent à un tonus général de conception très haute.
Le Progrès de la Somme du 20 octobre 1938
Après les Cygnes Noirs, dont le Mercure de France a donné l’édition définitive, Léon Bocquet réunit dans un nouveau volume aux poèmes qu’il intitule Ciguës, ses recueils antécédents : Évocations de Flandre, Lumière d’Hellas, Crucifixions, et connaît ainsi la destinée enviable du poète à qui le destin a accordé de voir réunie son œuvre poétique complète, je veux dire de s’être accompli, offert et présenté dans la somme complète de ses desseins et de ses réalisations. Il est intéressant de le suivre et de le voir évoluer des Évocations de Flandre, d’inspiration toute objective, paysages évoqués, et de la Lumière d’Hellas qui est le rythme de sa pensée pétrie de savoir et de songe à la fois sensible et érudit, aux Crucifixions des années maudites qui le ramènent par les mâles sursauts de ses plus légitimes indignations à la foi religieuse; par Ciguës, elle s’exprime dans la résignation aux douleurs et aux peines, dans l’attente chrétienne de la mort. Il est à remarquer, en même temps, qu’il y délaisse presque partout l’usage de l’alexandrin pour celui d’un octosyllabe en quelque sorte plus dépouillé, plus intime ou du moins discret et presque décoloré, qui sans doute sera et restera l’expression la plus définitive de son loyal talent.
André Fontainas, Mercure de France, 15 janv. 1939, p. 137/256
Les poèmes que M. Léon Bocquet appelle Ciguës sont presque entièrement faits d’octosyllabes drus et nets, que la sécheresse guetterait plutôt, et qui sont fort près d’être des vers « dorés » ou gnomiques. La démarche du discours est avant tout intellectuelle, ce qui ne laisse pas d’engendrer quelque froideur (nous voilà aux antipodes, évidemment, du lyrisme médullaire qu’on a inventé récemment). Mais la langue ferme, la rigueur du ton sauvent la poésie malgré tout.
- Jus de pulpe vireuse et lie
- Les yeux clos et stoïque, bois!
- Quel chant dans l’ombre se délie,
- Bruit de source ou frisson des bois?
- Eau lente, musique ambiguë,
- Léthargie aux ondes du sang,
- Crépuscule glacé, cigüe
- Bon sommeil qui tue en berçant!
On remarquera dans certaine pièce (L’ombre où meurt cette lampe usée — Épand des ondes de velours — Du silence croule à pans lourds — Sur ma veille désabusée — Poids de la vie âpre et du sort — Qui tourne au vieux cadran des heures! — De sourds désirs en peine pleurent — Vers le calme étroit de la mort…) que ces images accumulées se contredisent et se neutralisent. Le style finit par n’être plus que cérébralement métaphorique, et cela détruit le pittoresque autant que l’émotion. Nous assistons à une algèbre symboliste. Là est l’écueil d’une poésie que gouverne la raison et que ne transmue pas une stylistique suffisamment originale. M. Léon Bocquet, en courant ces risques, demeure cependant un vrai poète.
André Thérive. Le Temps du 14 septembre 1935